Le changement : Pourquoi changer ? Comment l’appréhender ? A quel prix ?

Le changement procède toujours d’un malaise. D’où l’idée que tout irait mieux si l’on pouvait changer… changer de lieu, changer de métier, changer de vie, changer d’amour… et à défaut, si l’on ne peut rien changer de tout cela, se changer soi-même, changer de peau en quelque sorte.

C’est bien ce qui fait l’actualité du problème : c’est qu’aujourd’hui, grâce aux progrès des techniques en tous genres, chirurgicales, esthétiques, psychologiques, on peut obtenir des transformations qu’on n’aurait pas oser espérer il y a un demi-siècle.

Donc, on peut changer. Mais que peut-on changer ? Jusqu’où ? A quelles conditions ?

Certes, il y a le butoir de la réalité, et en particulier de la réalité biologique : la taille, la couleur de peau (encore que …). On a déjà dépassé la question du sexe. Mais il reste le quotient intellectuel (du moins pour la partie qui dépend de l’inné), les dons naturels, et qu’on le veuille ou non, ce qui dépend de sa famille, de son éducation, du milieu dans lequel on a grandi, même si là encore on multiplie les mesures pour pallier à l’inégalité des chances.

Pour autant, on peut se placer dans l’hypothèse de quelqu’un qui, soudainement ou en apparence, décide de changer de métier, d’idéal de vie, de personnalité, simplement de lever les barrières dont il pense qu’elles l’ont limité jusque là : S’agit-il réellement d’une révélation, d’un virage à 180° ou de l’éclosion apparemment soudaine d’un projet longuement et parfois inconsciemment préparé ?

C’est ce problème que nous allons examiner à travers 3 cas qui relèvent du changement :

  • le changement de métier,
  • Le changement personnel,
  • Ce changement particulier que constitue la résilience.

Le changement de métier

Il y a l’attitude phobique : je déteste mon boulot, je déteste mon patron, je déteste mes collègues, je claque la porte et je pars. Partir, le vieux rêve, mais pour aller où? Il faut bien arriver quelque part.
Le changement, ça se prépare… et les changements réussis commencent par des projets mûrement organisés.

Cf. l’exemple de Dominique : en apparence, un virage à 180°, mais de longtemps préparé, et minutieusement programmé.

Dominique, la trentaine, est assistante de direction, très bien payée et très estimée dans un grand groupe international. Elle décide, en apparence soudainement, de laisser tomber son job et les promotions qu’il laisse espérer, pour devenir artiste-peintre. Pas si soudainement… Elle appartient à une famille d’artistes et elle se souvient du goût qu’elle avait, toute petite, pour le dessin et la peinture.

Alors persuadée de sa vocation, elle va se donner les moyens :

  • Elle négocie un départ avec indemnité qui va lui permettre de vivre confortablement pendant toute une année ;
  • Elle entre en contact avec des artistes-peintres pour voir comment ils se débrouillent pour vivre de leur art ;
  • Elle se renseigne par ailleurs auprès de son banquier sur le statut qui peut lui être le plus avantageux ;
  • Elle loue un atelier qu’elle aménage avec une surface d’exposition ;
  • Enfin, elle suit des stages techniques sur l’utilisation des couleurs qui la mènent jusqu’en Provence, et vont lui permettre d’affiner son style personnel.

Autrement dit, elle s’est donnée le temps d’une vraie préparation, de manière à effectuer son virage dans les meilleures conditions. Elle a même prévu une solution de repli pour le cas où cela ne marcherait pas.

Je ne connais pas la suite. Mais au moins elle aura essayé et mis toutes les chances de son côté pour ne pas avoir de regrets.

Le changement personnel (ou le point de vue thérapeutique)

En fait, nous avons affaire à deux types de demandes :

    • une demande qu’on pourrait dire de chirurgie réparatrice : qui vise à se débarrasser de comportements gênants ou de croyances erronées, et qui vont pouvoir se contenter de thérapies brèves, du type que nous appelons recouvrant, dans la mesure où il s’agit en quelque sorte de colmater les symptômes.Ce sera le domaine du cognitivo-comportementalisme, voire de la sophrologie qui peuvent se révéler très efficaces sur certains empêchements à vivre : phobies, troubles du comportement alimentaire, certaines addictions, difficultés relationnelles dans la mesure notamment où on peut suspecter qu’il s’agit de « mauvaises habitudes » conditionnées par l’éducation, les incidents de vie ou des traumatismes isolés ou répétés. 
    • une demande d’exploration en profondeur : qui vise celle-là à comprendre sur quels matériaux on s’est construit, s’agissant notamment des contenus inconscients, de manière à pouvoir les prendre en considération pour les aménager autrement : ce sera le fait de la psychanalyse et plus généralement des thérapies découvrantes.

Cf. Elisabeth Roudinesco :
« Nos patients ne disent pas qu’ils ont été guéris, mais qu’ils ont changé leur destin »

Cf. aussi Bertha Pappenheim, la 1ère patiente de Freud (alias Anna O.)

D’où l’intérêt sur le plan thérapeutique du diagnostic différentiel. On ne traitera pas une phobie simple (des animaux…) comme la phobie sociale installée sur une névrose phobique, ou une simple timidité comme l’incapacité à agir caractéristique de la névrose obsessionnelle (en particulier à travers la névrose d’échec). Le propre de la névrose étant sa capacité à reproduire à mesure les symptômes dont on aura pu se croire soulagés.

C’est notamment la précaution à prendre en présence de troubles du comportement alimentaire, la boulimie pouvant au fil du temps resurgir en boulimie sexuelle, voire en érotomanie ou en dépendance alcoolique (ce qui n’est pas le cas nécessairement d’une boulimie occasionnelle de l’adolescence).

Le cas particulier de la résilience

Il mérite d’être étudié spécifiquement dans la mesure où on a fait de cette résilience une sorte de miracle qui permettrait aux mal-partis de l’existence de se réveiller un jour avec une énergie et des possibilités hors du commun ouvrant sur un avenir radieux.

En fait, il s’agit d’une interprétation abusive de la thèse de Boris Cyrulnik qu’il est bon de rappeler: le propos de Cyrulnik concerne essentiellement des enfants victimes de traumatismes dans leur jeune âge – il s’agissait d’enfants de parents déportés ou ayant vécu eux-mêmes la déportation – et qui témoignaient en grandissant d’une énergie vitale et d’une possibilité de rebondissement à la mesure de ce qu’ils avaient souffert.

La question restait de se demander pourquoi certains enfants et non d’autres bénéficiaient de cette capacité de résilience. Cyrulnik évoque plusieurs hypothèses :

Ce qui montre bien encore une fois que tout changement, aussi miraculeux qu’il paraisse, prend ses racines très tôt dans la vie.

Les échecs au changement

a) Quand il est trop tard
Paulette vient, après avoir longuement hésité, de se libérer d’un mariage malheureux par un divorce tardif. Ses enfants n’ont plus besoin d’elle, et elle s’apprête à 50 ans passés, à découvrir les joies de la liberté.
Le problème est qu’elle n’y est pas préparée :

    • La première, de nature biologique : Certains sujets, définis comme de « gros transporteurs de sérotonine » détiendraient naturellement une disposition à ne pas se laisser accabler par les coups du sort, mais de passer rapidement à « autre chose ».
    • La deuxième, de nature sociale : Les faits de résilience correspondent souvent à la rencontre de ces enfants ou adolescents avec des substituts parentaux (professeur, entraîneur sportif, personnalité charismatique) qui les réconcilient avec un Idéal du Moi oublié.
    • La troisième, et non la moins intéressante, de nature affective : Cyrulnik insiste sur le fait que les enfants, pour bénéficier de cette possibilité de résilience, doivent avoir été “aimés“ dans leur âge précoce par la mère ou son substitut, et ce, quelles que soient les qualités de cette mère-là.
      • Elle travaille dans un bureau triste auprès de collègues plus jeunes qu’elle, accaparées par leur couple et par leur famille ;
      • Elle habite un pavillon isolé dans une banlieue où il est dangereux de sortir seule le soir et le dimanche ;
      • Elle n’est jamais partie en vacances, et l’idée même de partir lui paraît incongrue, que ce soit seule ou dans un groupe.
      • Bref, elle ne dispose d’aucun repère qui puisse lui permettre de se construire une nouvelle vie. Alors, elle passe ses week-ends à changer ses meubles de place, faute de pouvoir changer autre chose, et ses vacances à Toulouse, où elle retrouve ses vieux parents.Je ne peux tout de même pas l’emmener au bal…

      b) L’illusion magique
      François est le parfait mythomane. Fils unique d’immigrés portugais, il s’est construit une image de premier de la classe, d’élève surdoué qui n’a même pas besoin de travailler, tout ceci à base de carnets truqués et de notes falsifiées.
      Il est tout de même parvenu jusqu’au bac: après tout, il n’est pas si difficile de faire partie de 80% d’une classe d’âge… si bien que sur sa lancée et ne doutant de rien, en tous cas pas de lui, il décide de se présenter à Sciences Po.
      Là, la claque est magistrale : bon dernier avec quelque chose comme 2 de moyenne générale.

      C’est à partir de cette prise de conscience qu’il vient me voir . Il a à priori “tout compris“ et se dit prêt à faire les efforts nécessaires pour “changer“ autrement dit pour revenir à une conception plus réaliste de lui-même et des efforts qu’il doit faire pour réajuster son image à ses aspirations.

      Nous travaillerons ensemble pendant plusieurs mois avant qu’il ne disparaisse… Sans savoir exactement ce qui s’est passé, je pense que le challenge était trop difficile et les bénéfices secondaires insuffisants… Retour sans doute à l’utopie.

       

      c) Envie de rien
      La pire situation, en matière de changement, car celui-là veut surtout que rien ne change… Je pense à ces grands ados très caractéristiques de notre société d’aujourd’hui, qui se sont habitués à vivre dans un no man’s land où ils ne sont astreints à aucun travail. Ils ont en principe quitté le lycée à la seconde, ne sortent plus de la maison familial où ils sont assurés d’avoir au moins le vivre et le couvert, vivant au jour le jour ou plutôt la nuit la nuit, finalement assez contents de leur sort.

      Là, ce sont les parents qui voudraient les voir changer. Mais pour quoi changeraient-ils? Puisqu’ils n’ont envie de rien, qu’on ne leur a rien laissé à désirer, et que par conséquent, il n’y a aucun levier…

      Se pose ici le problème de l’Idéal du Moi: ce sont des enfants qu’on a généralement gavés sur le plan matériel, mais sans rien leur laisser à conquérir par eux-mêmes sans rien qui puisse les motiver.

      En conclusion

      Qu’en est-il donc encore de ces prises de conscience soudaines, à l’occasion de la perte d’un être cher ou parce qu’on a soi-même frôlé la mort ?

      A mon sens, cette prise de conscience ne peut avoir de sens que si le projet de changement avait déjà mûri en silence, même de manière sporadique. Plus largement, il faut qu’il y ait un germe quelque part. La prise de conscience est en fait une prise de conscience de l’urgence (ce qui explique aussi qu’elle puisse rester sans suite).

      On prétend vouloir se débarrasser de l’addiction à l’alcool, au tabac, à la dépendance affective, compte tenu des dommages qu’ils occasionnent ; mais le veut-on vraiment ?

      C’est là que la résistance au changement doit s’analyser en termes de confrontation entre l’aspiration au changement et l’attachement aux bénéfices secondaires, auxquels on s’est habitué : “Qu’est-ce qui me restera si vous m’enlevez ça?“ me demandait un alcoolique dépendant qui pourtant s’était inscrit avec la volonté affirmée…de se libérer de son addiction.

      Fanny Chatard pour Psychologika