Arts et Violence

La psychologie sociale est une branche de la psychologie qui étudie l’influence des facteurs sociaux sur le comportement individuel de chacun. Cette branche de la psychologie s’est beaucoup intéressée à l’influence de la représentation de la violence sur les comportements individuels. Elle s’est donc beaucoup intéressée à l’augmentation des comportements violents chez les jeunes. Elle apporte à ce problème quelques réponses qui bien sûr ne peuvent expliquer tous les comportements violents mais apportent de précieux enseignements…  La psychologie sociale a ainsi mis en évidence certains facteurs qui sont susceptibles d’augmenter les comportements violents, en particuliers chez les enfants qui y sont exposés.  Le simple fait de voir une arme prédispose à réagir violemment à une situation désagréable (Leyens, 1979).

Même si la personne ne pense plus à cette arme et ne pense pas forcément à utiliser une arme pour régler les conflits auxquels elle doit faire face, elle aura tendance à réagir plus violemment au moins en parole si elle subit une frustration. Ceci est constaté de manière étonnante autant chez les adultes que chez les enfants (Leyens, 1979). Ce qui veut dire que le simple fait de voir des armes dessinées, en photo ou des jouets type fusil, carabine, mitraillette, etc… suffit à augmenter les chances que la personne recourt à un comportement violent (verbal ou physique) si elle doit faire face à une situation désagréable.  Il est également démontré que si l’on entend du mal d’une personne, on réagira avec cette personne plus violemment (ou du moins plus impoliment) que si l’on a entendu du bien de cette personne (Leyens, 1979).  Il est donc nécessaire de prendre garde à la médisance : ce n’est pas sans conséquence de présenter de manière constante une communauté humaine en les associant à des actes répréhensibles ou qui suscitent la répulsion de la part du public.

De plus, ceci indiquerait qu’il faut éviter de punir vos enfants (ou leur faire de sévères reproches) en public et surtout devant les frères et sœurs, vous attisez ainsi inutilement l’agressivité de ceux-ci contre l’enfant réprimandé (cette agressivité peut notamment se manifester par des moqueries inutiles à l’encontre de l’enfant réprimandé). Rien n’indique par ailleurs que la punition publique soit plus efficace en ce qui concerne les enfants.

l peut exister cependant des situations particulières : si une ou plusieurs autres personnes ont été lésées, il peut être utile que les reproches soient donnés devant les personnes lésées mais la punition infligée par les parents doit rester privée.  D’une manière générale, il est donc préférable de faire des reproches ou de punir lorsque vous êtes seul à seul avec l’enfant.  Des chercheurs ont également comptabilisé les comportements violents d’adolescents soumis à différents types de films : un groupe d’adolescents a regardé des films violents, un autre groupe a regardé des films « moralisateurs ». Alors que les adolescents qui ont vu un film « moralisateur » ont eu tendance à être moins violents, ceux qui ont vu un film violent ont été jusqu’à quatre fois plus violents qu’habituellement (agressions verbales et physiques).

On remarque des phénomènes semblables chez les adultes mêmes chez les adultes qui se disent attachés à la non- violence !  Il est à noter que peu importe soit le fait que les personnages soient réalistes ou non (des héros fictifs de dessin-animé, par exemple) (Leyens, 1979). En effet, la distinction consciente entre la réalité et la fiction ne suffit pas à prévenir l’impact émotionnel des images qui joue le rôle le plus déterminant dans le comportement humain.

Le Professeur Jacques-Philippe Leyens conclut :  « La comparaison des résultats avec ceux d’autres études menées sur le terrain (…) et en laboratoire ne laisse guère de doute : s’il y a un effet des films violents, celui-ci va dans le sens d’un accroissement de l’agressivité des spectateurs. Ce qui est certain, c’est qu’il n’y a pas diminution. Une telle constatation ne peut laisser indifférent si l’on songe à la quantité de violence que nous prodiguent le cinéma et la télévision. » (Leyens, 1979, pp. 147 et 148).

Autrement dit, l’impact des films violents sur nous-mêmes est plus émotionnel qu’intellectuel : même si l’on se dit que l’on restera pacifique, ces films provoqueront en nous une agitation intérieure (ou une agitation motrice chez le petit enfant) et une tension corporelle (excès de tonus musculaire, appelé aussi « stress ») qui nous prédispose à une colère et à une agressivité accrues qui seront plus ou moins difficilement réprimées intérieurement.   Plus la personne est jeune plus l’impact émotionnel est fort : il sera donc plus difficile à un enfant qui a été exposé à la violence d’obéir à l’injonction verbale de ses parents de rester calme même s’il a le souhait de respecter cette injonction… De même, cet enfant aura plus de difficulté à se maintenir à des activités réclamant une détente corporelle comme la lecture, le travail scolaire, la pratique musicale,… même si l’enfant souhaite par ailleurs lire, faire ses devoirs, pratiquer la musique,…

L’impact de l’art sur notre comportement est beaucoup plus important que l’on ne le suppose habituellement car cet impact est principalement émotionnel. Or, nous pensons couramment que notre raison peut l’emporter sur nos émotions, ce qui est une erreur !… Le « contrôle de soi » n’est en effet pas lié qu’à la volonté consciente car le niveau émotionnel joue un rôle considérable. Un contrôle attentif des parents sur les loisirs de leurs enfants (qui ont un impact émotionnel sur eux) est donc indispensable ; petit à petit, l’enfant pourra devenir autonome et pratiquer de lui- même un contrôle sur ses activités de loisirs… On pourrait voir là une restriction de la liberté mais en réalité, c’est l’enfant exposé à une sur-représentation de la violence qui risque de perdre en liberté car du fait qu’il devient de moins en moins capable de choisir ses réactions, il risque de devoir subir une autorité de plus en plus coercitive pour ne pas agir violemment. Il est donc indispensable de surveiller avec soin toutes les formes d’art ou de jeux auxquelles nos enfants ont accès (jeux, sports, dessins, musique, bande-dessinées, films, théâtre, vidéo et jeux vidéo, etc…)…

S’il paraît évident à la majorité des parents qu’il ne faut pas exposer l’enfant à certains propos verbaux qui inciteraient à la haine ou à la violence, la même vigilance n’est pas accordée à la plupart des formes d’arts auxquelles l’enfant a accès et qui pourtant contiennent le même genre d’incitations.  Voici quelques conseils pour vous guider dans le choix des médias destinés à vos enfants :

1) Regarder les décors : a) les décors sont-ils sombres ? Y a-t-il des décors représentant des destructions ? des décors de guerres ?  b)  les couleurs sont-elles variées ou plutôt toujours sombres ? c)  des armes sont-elles représentées ?

2) Y a-t-il de la violence ? L’impact de la violence est d’autant plus néfaste que cette violence est pratiquée avec indifférence par les protagonistes ; pire encore si les protagonistes pratiquent la violence avec ironie voire avec joie comme c’est le cas dans l’image ci-après extraite d’une revue destinée aux enfants (vous remarquerez sur cette image que tous les spectateurs sourient et en redemandent, même les enfants !)…

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Il faut également veiller à ce que des stratégies autres que la violence (des tentatives de compréhension, par exemple) ne soient pas systématiquement disqualifiées ou que les protagonistes de l’histoire, qui utilisent d’autres stratégies que la violence, ne soient pas systématiquement présentés comme « niais » ! Dans l’image ci-après, vous remarquerez que les « grands » utilisent la violence au contraire des « petits » qui restent dans le sentimental… L’influence d’une telle image peut être très néfaste chez la majorité des enfants et des adolescents qui, en général, aspirent à devenir « grands »…

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3) Le langage utilisé est-il grossier ? Y a-t-il des insultes ? Evoque-t-on certains personnages de manière à susciter de l’agressivité contre eux (même s’il n’y a ni grossièreté ni insulte) ?

4)  Observer le héros de l’histoire :

a) Méfiez-vous des héros solitaires (venant de nulle part ou étant orphelin de parents) qui n’ont pas à se soucier de leur père ou de leur mère, de leurs frères ou sœurs, qui ne se soucie pas de fonder famille ou même au contraire qui se revendique d’un « caractère fort » qui l’amène à agir en « loup solitaire » sans aucunement se soucier des autres.

b) Le héros résout-il les problèmes uniquement en ayant recours à la violence ?

c) Utilise-t-il la violence « sans état d’âme » ou pire, avec joie ?

d) Le héros a-t-il toujours une arme sur lui ?

e) A-t-il une arme (l’arme peut être plus ou moins réaliste) ou une voiture (ou un autre objet) qu’il affectionne particulièrement et auxquelles il donne plus d’attention qu’aux êtres humains ?

f) Est-il principalement et sans nuance mû par un désir de vengeance ?

5) Observer les émotions :

a) L’histoire présente-t-elle principalement une ou plusieurs émotions : le héros est-il presque toujours en colère ou déterminé à tuer ? ou montre-t-il qu’il ressent de la pitié, de la joie, de la compassion, du regret, de la tristesse,… Attention ! Parfois un sentiment de pitié (pour un enfant victime, par exemple) amène le héros à être encore plus déterminé dans l’utilisation de la violence contre ses ennemis jugés a priori incapables d’une telle compassion…

b) Les émotions (aussi variées que possible) doivent se percevoir au niveau du regard : le regard des personnages est-il toujours figé ? exprime-t-il une gamme peu variée d’émotions (quasi uniquement de la colère ou la détermination à se battre sans pitié, par exemple) ou le regard est-il le plus souvent caché par des lunettes, des masques, etc…

6) Le récit présente-t-il une alternative valorisée à la violence ?  Enfin, il est recommandé d’éviter les jeux et jouets violents (armes, jeux de guerre, etc…) .  Prenez garde également à la musique  qu’écoutent vos enfants, aux musiciens et chanteurs qu’ils admirent, aux sports que pratiquent vos enfants : s’agit-il de sports incitant à l’agressivité ? L’entraîneur de votre enfant utilise-t-il des insultes pour désigner l’équipe adverse et excite-t-il exagérément l’agressivité des joueurs ?  Ce n’est qu’à partir de 10 ans que les réactions verbales de l’adulte (la désapprobation de la violence) peuvent influencer les réactions de l’enfant à la violence médiatique. Avant dix ans, l’impact émotionnel des films violents sur l’enfant est peu influençable par les jugements verbaux désapprobateurs de l’adulte !  Un petit enfant qui est capable de regarder des meurtres à la télévision sans réagir émotionnellement n’est pas un enfant qui est devenu « plus fort » mais un enfant qui est devenu insensible. Or, l’insensibilité est associée au manque d’empathie et celle-ci peut amener avec une certaine indifférence à faire souffrir autrui, ce qui prédispose à des actes violents faits avec « inconscience ». Les idées selon lesquelles la violence est une fatalité liée à la nature humaine n’ont jamais été scientifiquement démontrées. L’idée que les jeux violents « déchargeraient » les enfants de leur trop plein d’agressivité est infirmée par une majorité de recherches en psychologie sociale.

Pierre Simon

Psychologue-Psychothérapeute

Référence : Leyens, J.-P. (1979). Psychologie sociale. Bruxelles : Mardaga.