Méditation basée sur la « Pleine Conscience » (Mindfulness) et Santé Mentale.

Article rédigé par Pierre Simon, psychologue et psychothérapeute.

Sommaire :

  • Qu’est-ce que la Méditation basée sur la « Pleine Conscience » ?
  • Pourquoi pratiquer la méditation basée sur la « Pleine Conscience » (Mindfulness, en anglais) ?
  • Comprendre les processus mentaux qui conduisent à la maladie mentale : La dépression –  L’addiction – Les difficultés sexuelle – Conclusions
  • Qu’est-ce que la compassion ?
  • Comment la pratique de la Méditation en Pleine Conscience prévient-elle la maladie mentale ?
  • La Méditation en Pleine Conscience comme base de la psychothérapie
  • La Méditation en Pleine Conscience comme base de notre développement personnel et du développement de notre bien-être
  • Développement de la Compassion et de l’Intuition
  • Finalité de la pratique de la « Pleine Conscience »
  • Bibliographie

 Qu’est-ce que la Méditation basée sur la « Pleine Conscience » ?

Il s’agit d’une forme de méditation particulière visant à développer la « Pleine Conscience » de l’instant présent.

La « conscience » est une instance de notre personnalité. Elle est le lieu de la gestion du langage intérieur et le lieu où se « réceptionnent » les stimulations qui nous parviennent de l’extérieur à travers nos cinq sens (odorat, vue, audition, toucher et goût). La conscience rassemble ces stimuli venant de l’extérieur de nous et les associe à des souvenirs d’expériences antérieures, des sentiments, des sensations (de plaisir ou de déplaisir, par exemple), des images, etc… venant de l’intérieur de nous (d’après Bobon, 1981).

Cependant, du fait que le « langage intérieur » sature notre conscience, du fait de peurs ou de jugements qui nous poussent à éviter certains vécus émotionnels, la plus grande partie de notre vécu présent reste « inconscient ». La « Pleine Conscience » de l’instant présent n’est donc pas pour la majorité d’entre nous une expérience habituelle.

Plus précisément, la « Pleine Conscience » est un « état de conscience qui résulte du fait de porter son attention, intentionnellement, au moment présent, sans juger, sur l’expérience qui se déploie moment après moment » (d’après Jon Kabat-Zinn, 2004).

Jon Kabat-Zinn ajoute :

« Cette sorte d’attention nourrit une prise de conscience plus fine, une plus grande clarté d’esprit et l’acceptation de la réalité du moment présent. Cela met en évidence le fait que nos vies sont une succession de moments où nous avons intérêt à être présents.

Une conscience distraite du moment présent crée en nous des problèmes renforcés par nos peurs et notre manque de confiance en nous – problèmes qui ne feront que s’amplifier avec le temps. » (Jon Kabat-Zinn, 2004, p. 22).

Par la pratique de la Pleine Conscience, la personne apprend alors à être pleinement consciente de son vécu présent, en particuliers de ses émotions et sensations corporelles, agréables ou désagréables et elle apprend à « laisser passer » les jugements qui pourraient surgir automatiquement à propos de l’expérience vécue présentement.

Cette conscientisation de sa dimension émotionnelle mène la personne vers un meilleur bien-être comme le démontre un ensemble de recherches scientifiques avec un recul de plus de trente années (Bizzini et al., 2010).

Cette forme de méditation tire son origine de la philosophie bouddhique mais elle a été prônée en Occident par des philosophes comme, par exemple, Henry David Thoreau, ami et disciple de Ralph Waldo Emerson.

Certains concepts plus familiers en Occident pourraient rendre compte de cette pratique : « contemplation », « recueillement » ou la « méditation en son cœur ». Cette dernière expression se retrouve en effet dans le Nouveau Testament chrétien : 

 Luc 2 : 19 ~ Quant à Marie, elle conservait avec soin toutes ces choses les méditant en son cœur (Bible de Jérusalem).

Le développement de notre capacité à rester attentif à l’instant présent rend notre conscience plus disponible à une pratique méditative avec « visualisation » où il est fait recours à des métaphores (comme par exemple, la « Maison d’Hôtes » du poète soufi Roumi) et où l’imagination joue un rôle capital. Il s’agit d’ailleurs là d’une pratique commune aux grandes religions de l’Humanité[1].

La Méditation en Pleine Conscience a été mise en évidence pour ses qualités thérapeutiques en Occident par Thich Nath Han, maître du bouddhisme zen vietnamien (c’est paradoxalement la forme de bouddhisme la plus ancienne et la plus répandue en France mais aussi la moins connue).

Par la suite, Jon Kabat-Zinn a établi un protocole rigoureux d’apprentissage de la méditation au profit de personnes souffrant de douleurs chroniques : ce protocole a été utilisé dans un contexte médical et validé scientifiquement. Dans un second temps, Jon Kabat-Zinn a élaboré un protocole s’adressant à une population plus étendue : le protocole « MBSR », « Mindfulness-Based Stress Reduction » ou, en français, « réduction du stress basée sur la Pleine Conscience ».

Des psychologues comportementalistes se sont alors intéressés à ce protocole dont la validation scientifique rigoureuse les séduisait et l’ont utilisé à des fins de prévention de la rechute dépressive puis de la rechute addictive ; ensuite, les indications psychothérapeutiques de la Méditation en Pleine Conscience n’ont cessé de se multiplier.

Cette multiplication des applications psychothérapeutiques de cette pratique a amené les chercheurs à se questionner sur le pourquoi d’une telle efficacité. Ce questionnement a permis la mise en évidence par différentes recherches scientifiques en psychothérapie de l’existence de processus mentaux communs à différentes maladies mentales… Ainsi, au-delà des différents symptômes présentés, il s’avère de plus en plus que toutes les personnes qui souffrent d’une maladie mentale ont été conduites à leur état de souffrance par des processus psychologiques communs… Ceci explique pourquoi une même pratique (la Méditation en Pleine Conscience) puisse avoir un effet préventif global en santé mentale…

Il est apparu dans le même temps que la pratique de la Méditation en Pleine Conscience devait son efficacité au fait que non seulement cette pratique contrarie ces processus conduisant à la psychopathologie mais développe également des processus inverses conduisant vers une meilleure santé mentale et à son maintien…

La pratique de la Méditation en Pleine Conscience est dès lors de plus en plus considérée comme la base de la psychothérapie[2] et le fondement d’une meilleure santé mentale[3]


[1] Cependant, chaque religion n’y a pas attaché la même importance. [2] Attention qu’une « base » est essentielle mais pas suffisante à une psychothérapie. Les fondations d’une maison sont indispensables mais insuffisantes, un édifice doit être construit sur ces fondations ; de même, la pratique de la Méditation en Pleine Conscience peut être considérée comme le fondement sur lequel va s’élaborer un projet psychothérapeutique. [3] Santé Mentale prise ici selon la définition de l’OMS à savoir : « état de complet bien-être physique, mental et social, et [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité » (définition de l’Organisation Mondiale de la Santé telle qu’indiquée sur son site http://www.who.int/fr/).

Pourquoi pratiquer la méditation basée sur la « Pleine Conscience » (Mindfulness, en anglais) ?

Comprendre les processus mentaux qui conduisent à la maladie mentale :

Nous entendons par « processus » un ensemble de changements mineurs qui se succèdent les uns aux autres d’une manière parfois non perçue et donc non consciente…

« Mental » est un concept utilisé en médecine : la « maladie mentale » a été ainsi conceptualisée par opposition aux maladies somatiques qui se caractérisaient par des dysfonctions observables au niveau corporel.

Les « processus mentaux » sont donc des changements peu (ou pas) perceptibles qui se succèdent les uns aux autres vers une direction (en l’occurrence, la maladie mentale ou la santé mentale) et sans nécessairement être associés à des dysfonctions corporelles…

Si un jour, nous présentons à notre médecin des symptômes avérés de maladie mentale (dépression, troubles anxieux, TOC, phobie, etc…) qui sont très conscients tant ils nous font souffrir, c’est que pendant longtemps, nous avons laissé des processus mentaux se développer en nous-mêmes jusqu’à ce qu’ils nous conduisent à une maladie mentale diagnostiquée médicalement… Nous avons laissé ces processus se poursuivre soit parce que nous n’en avions pas conscience soit parce que nous les avons entretenus consciemment sans avoir conscience de leur caractère dangereux pour notre santé mentale…

Parmi ces processus mentaux aujourd’hui identifiés, nous pouvons en énumérer un fondamental : l’évitement émotionnel conscient ou non (Heeren, Ceschic & Philippot, 2012).

Suivent deux autres processus mentaux qui semblent être la conséquence de la pratique de l’« évitement émotionnel » et qui accélèrent les processus allant vers la psychopathologie :

  1. Les pensées automatiques incontrôlables (les ruminations, par exemple ; Baeyens et al., 2012) ;
  2. L’impulsivité[1] (Billieux, 2012).

Mais qu’est-ce que nous évitons précisément ?

Nous évitons des sentiments pénibles associés à notre corps (que nous n’aimons pas et que nous ne supportons pas de montrer ou même de regarder), à des souvenirs (que nous aimerions oublier), à des émotions (par exemple, nous ne supportons pas d’être en colère ou triste), etc…

Mais nous évitons également souvent des affects agréables. L’exemple le plus parlant est la sexualité où nous ne parvenons pas à nous laisser aller à ressentir le plaisir érotique et où nous ne parvenons pas pleinement à l’orgasme (l’anorgasmie vaginale est en effet une des difficultés sexuelles la plus courante chez la femme occidentale !).

Comment expliquer que l’évitement émotionnel soit si répandu pour notre propre malheur ?

Il s’avère de plus en plus que c’est la peur, le doute (considéré couramment comme un « manque de confiance[2] en soi »), la culpabilité ou même la honte qui sont les obstacles principaux à une pleine conscientisation de soi (Bowen et al., 2013 ; Gilbert&Choden, 2015).

Concrètement, la personne qui ressent de tels affects peut se dire qu’elle « n’y arrivera jamais », qu’elle « est nulle », peut se reprocher indéfiniment la moindre faute ou erreur, ressentir douloureusement le moindre reproche, se juger sévèrement de même que les autres, etc…

Le pire est que cette tendance automatique au « doute » est tellement automatique qu’elle n’est pas… conscientisée…

L’inconfort ressenti par de tels affects si présents, que nous le sachions ou non, nous pousse à pratiquer l’évitement émotionnel pour ne pas ressentir cet inconfort…

Or comme l’indique la définition de Jon Kabat-Zinn cité plus haut, « ne pas juger » est fondamental dans la pratique de la Pleine Conscience…

Ainsi, cette personne ne pourra pas s’empêcher de juger son expérience présente. Dans la pratique de la Pleine Conscience, elle aura souvent l’impression de mal faire les exercices, que les exercices ne lui conviennent pas, qu’elle est « trop nulle » pour pouvoir « réussir » à les faire, que les exercices ne sont pas pour elles ou sont étranges ou ridicules, etc…


[1] « L’impulsivité, généralement considérée comme la tendance à exprimer des comportements spontanés, excessifs et/ou non planifiés » (Billieux, 2012, p. 42), est liée à l’hypertonicité musculaire (stress). [2] La « confiance » est un sentiment de sécurité généré par le fait que l’on se fie à quelqu’un ou quelque chose. Un antagonisme serait « le manque de sécurité » : le « manque de confiance » est donc lié à l’anxiété, l’angoisse, la crainte, etc… Le « doute » (« peur de ne pas y arriver », par exemple) est le contraire de la « confiance ».

Pour illustrer notre propos, prenons trois exemples de psychopathologies :

La dépression : 

Sylvie a toujours été une femme très dynamique qui adorait son travail…

Sylvie paraît toujours gaie car elle présente toujours un large sourire et s’est donnée comme philosophie de vie de toujours voir « le bon côté des choses » et de « ne jamais se plaindre »… Avons-nous en effet le droit de se plaindre alors qu’il existe tant de souffrances terribles en ce monde ?…

Sylvie assure son travail toujours impeccablement et ne reçoit que des éloges. Sylvie a en effet un métier qui l’intéresse beaucoup et s’y investit sans compter, toujours dévouée lorsqu’elle est sollicitée…

Sylvie a la conscience toujours occupée par des pensées multiples qui vont en tous sens : défile dans sa conscience tout ce qu’elle doit assurer dans la journée et rien ne doit être oublié, elle pense et repense à ce qu’elle va dire lors d’une prochaine réunion professionnelle, à ce qu’elle va dire à son enfant à propos de tel ou tel problème, etc…

Sylvie fait l’admiration de son entourage qui la perçoit comme quelqu’un de « fort », de « sûre d’elle-même », « à qui tout réussit »… Et c’est sans fausse modestie l’image que Sylvie a d’elle-même…

Mais Sylvie ne se rend pas compte qu’elle entretient des processus mentaux qui mettent en danger sa santé mentale car elle pratique sans le savoir l’évitement émotionnel (ne serait-ce que par la saturation de sa conscience par des pensées incessantes)…

Sylvie cherche en effet à faire parfaitement les choses, elle le fait plutôt aisément car c’est une femme intelligente et compétente… Mais cette recherche de perfection n’est pas sereine, elle est beaucoup plus motivée par l’évitement de certaines émotions pénibles que par l’amour du travail bien fait…

Il arrive en effet que Sylvie reçoive des reproches (c’est plutôt rare car tout est fait au mieux pour que cela n’arrive jamais !) et dans ces situations, Sylvie se sent profondément blessée, il peut apparaître des pensées autocritiques pendant plusieurs heures ou plusieurs jours mais c’est « vite oublié » car Sylvie réagit vivement pour réparer ses erreurs ou compense en faisant encore plus parfaitement la prochaine fois… Cependant ces pensées autocritiques sont si douloureuses qu’elles mettent en évidence chez Sylvie l’existence d’une instance intérieure qui portent des jugements très sévères sur elle-même, la faisant parfois douloureusement souffrir…

Sylvie aurait pu continuer à mener sa vie ainsi, « se souciant plus des autres que d’elle-même » et « en s’oubliant » mais des événements vont en décider autrement…

Au niveau de son travail, il y a eu un changement brutal de direction avec de nouvelles exigences qui ne correspondaient pas aux compétences de Sylvie…

Quoique Sylvie ait fait d’énormes efforts pour continuer à produire un travail aussi parfait qu’auparavant, cela tenait de l’impossible et les remarques désobligeantes pas toujours dites avec diplomatie ont commencé à pleuvoir… Il s’agissait pour Sylvie d’autant de lames acérées venant rouvrir des blessures qui n’avaient plus le temps de se cicatriser…

Aller au travail devenait de plus en plus douloureux… Sylvie comme à son habitude ne s’en plaignait à personne et faisait d’énormes efforts pour maintenir son image de personne « forte » et gaie… Des sentiments de plus en plus pénibles et intenses se faisaient ressentir mais Sylvie tentait en réaction de renforcer ses stratégies d’évitement émotionnel…

De plus, Sylvie s’épuisait à chercher une solution à ses problèmes en y « réfléchissant » mais les pensées ainsi produites étaient répétitives et n’aboutissaient finalement à aucune solution, renforçant alors un sentiment de désespoir et permettant de moins en moins la conscientisation des états corporels et émotionnels vécus dans l’instant présent…

Les pensées incessantes finissent par engendrer une incapacité à s’endormir ou à se rendormir lors d’un réveil nocturne… Le manque de sommeil et la fatigue qui s’ensuit vont achever de détériorer l’état psychologique de Sylvie car elle est en effet obligée de plus en plus de lutter contre un état de fatigue constant… Cette lutte est en lien avec l’hypertonicité musculaire (stress)[1] qui aggrave l’état de fatigue et rend Sylvie « impulsive »[2]

L’irritabilité de Sylvie qu’elle ne peut plus cacher détériore ses relations avec son entourage, mettant de plus en plus en échec sa recherche de perfection, accentuant les pensées auto-culpabilisantes et autocritiques…

Apparaît alors le sentiment de désespoir associé puis renforcé par des pensées du type : « je n’y arriverais jamais »…

Le barrage mis en place contre les émotions sous la pression de celles-ci va finir par céder et Sylvie s’effondre à un moment donné en pleurs incapable de retenir le flot des émotions pénibles qui la font atrocement souffrir…

Le drame est qu’une fois prise par l’intensité de telles émotions, Sylvie peut être tentée de rechercher à comment encore plus éviter ses émotions…


 [1] Le maintien d’une attention vigilante associé à une lutte contre la fatigue et les tendances à l’endormissement génèrent inévitablement une montée de l’hypertonicité musculaire (stress) car la tension musculaire est liée à l’hypervigilance. [2] Plus on est tendu (« stressé ») musculairement, plus le risque d’impulsivité augmente.

L’addiction :

Richard consomme du cannabis[1] en excès depuis plusieurs années… Bien que pendant longtemps, ce produit n’a pas été un problème pour Richard, il l’est aujourd’hui car il ne provoque plus aucun plaisir et au contraire, il met gravement en cause la santé physique de Richard[2]

Bien que Richard connaisse parfaitement les dangers physiques qu’il encourt s’il persiste dans sa consommation, Richard ne parvient pas à arrêter celle-ci.

Richard a du mal à s’ouvrir à l’idée que le problème de base est l’évitement émotionnel : quel rapport en effet avec sa consommation de produit ?

Richard soutient qu’au contraire, il ne peut pas éviter ses émotions parce qu’il est « hypersensible » et que « c’est chiant » de ne pas pouvoir, par exemple, regarder un film sans avoir les larmes aux yeux… Un moyen d’éliminer ou de réduire ses émotions, voilà ce que Richard voudrait pour aller mieux !…

Son hypersensibilité le fait en effet souffrir surtout qu’il n’aime pas montrer aux autres qu’il est sensible… Il est vrai que cette sensibilité a fait l’objet autrefois de diverses expériences malheureuses (moqueries, par exemple)…

Plusieurs situations provoquent chez Richard des émotions pénibles que Richard ne parvient pas à gérer : ainsi, la situation de conflit avec un ami ou un membre de sa famille, est pour Richard la situation la plus douloureuse… Immédiatement, Richard se sent triste, voire désespéré car Richard aspire tellement à vivre une vie harmonieuse… Richard a aussi beaucoup de difficultés à faire face à la colère ressentie dans ces situations ; souvent, sa colère éclate plus que nécessaire, involontairement et Richard peut le regretter amèrement mais secrètement dans les heures qui suivent… De plus, face à ces conflits, Richard se sent incompétent (s’il y a des conflits, c’est qu’il n’est pas capable de bien « s’y prendre ») et/ou coupable (s’il y a conflits, c’est souvent de sa faute). Il peut alors proférer des insultes envers lui-même : « Vraiment, tu n’es qu’une merde ! ». Richard évite donc ces situations, se renferme sur lui-même, ce qui engendre de plus en plus de problèmes relationnels avec son entourage…

Même s’il s’agit de conflits auxquels sont couramment confrontés la plupart des êtres humains, ces situations conflictuelles sont extrêmement douloureuses pour Richard mais ce dernier n’en montre rien.

Il résulte de ces situations un haut niveau d’hypertonicité musculaire (stress[3]) qui se manifeste à la conscience par une vague impression d’inconfort ou de tension…

Bowen et al. (2013) parlent alors de « magma émotionnel », fait d’un ensemble confus de sentiments souvent contradictoires et réprimés… C’est ce « magma » qui peut donner lieu à une envie irrépressible de consommer le produit qui peut donner alors une impression très provisoire de soulagement…

Ce « magma » peut être associé à des pensées désagréables en rapport avec les événements pénibles ou en rapport avec le produit lui-même (il peut s’agir par exemple d’un conflit interne sur l’opportunité de consommer ou non le produit : « juste un petit peu », « pendant longtemps, je me suis retenu, je peux bien me laisser aller à présent », « c’est la dernière fois », etc…)… En général ces pensées ne font qu’amplifier l’obsession[4] en rapport avec le produit et se concluent le plus souvent par la consommation de ce dernier…

Richard ainsi finit par consommer son produit et cette consommation fait souvent suite en ce qui le concerne à une situation de conflit où les émotions sont mal gérées… De plus, cette consommation est suivie par de violents sentiments de honte « de ne pas avoir été assez fort pour résister » que Richard cherche… à éviter !

Richard est par ailleurs obsédé par l’image qu’il présente aux autres ; il a ainsi honte de son comportement addictif… Il s’efforce d’éviter ce sentiment de honte en cachant ou en niant, parfois par de grossiers mensonges, son comportement qu’il voit comme une « honteuse faiblesse »…

Richard s’efforce d’entretenir ainsi l’image d’une certaine « perfection » afin d’éviter tout reproche et les sentiments pénibles qui y sont associés… Cette image de « perfection » peut parfois être maintenue en contradiction flagrante avec une réalité qui est alors déniée (même « pris la main dans le sac », Richard peut nier son comportement addictif de manière tout-à-fait irrationnel) !…

Cet évitement constant et cette recherche anxieuse de perfection augmente les chances que Richard soit accablé par des pensées incessantes, notamment autour du produit, et par des « envies » totalement irrépressibles de le consommer…


[1] Il aurait pu s’agir au lieu du cannabis, d’alcool, de jeux vidéo, de jeux d’argent, de pratiques sexuelles, etc… [2] Pendant longtemps, le corps présentait des signes d’inconfort (la toux du fumeur, par exemple) mais Richard n’y prêtait pas suffisamment attention : il s’agit déjà là d’une forme d’évitement. [3] Et le stress (hypertonicité musculaire) a des conséquences émotionnelles, notamment le renforcement de l’impulsivité !… [4] En même temps que cela intensifie le « stress »…

Les difficultés sexuelles :

Chantal aime beaucoup son compagnon et voudrait poursuivre sa vie avec lui. Elle a entière confiance en lui qui se montre doux et attentionné envers elle… Mais son compagnon est malheureux avec elle car Chantal a l’impression de ne jamais avoir envie de relation sexuelle et lorsqu’elle en a, elle n’a que très peu de sensation au niveau vaginal après la pénétration… De plus, jamais elle n’atteint l’orgasme par pénétration vaginale…

Chantal tient de front son commerce, son ménage et s’occupe de ses trois enfants… Les journées se succèdent les unes aux autres sans que Chantal ait vraiment le temps de les voir passer. Les tâches et les responsabilités se succèdent sans aucune pause, à une cadence très soutenue car « tout doit être impeccable ! »…

Chantal entretient un très haut niveau de tonicité musculaire (stress) et, en conséquence, se sent très fatiguée[1] tout au long de la journée mais elle a appris à « ne pas s’écouter » (Chantal pratique ainsi l’évitement des ressentis corporels et émotionnels)…

Elle ne soupçonne aucunement le stress et la fatigue d’être responsables (comme chez une majorité de femmes) de ses difficultés sexuelles : elle se dit parfois qu’« elle est comme ça », que « c’est sa nature » et de temps à autre, elle se pose des questions sur l’éventualité d’un abus sexuel dont elle n’aurait gardé aucun souvenir…

Au cours des relations sexuelles, Chantal est très peu attentive à ses sensations corporelles (qu’elle ne perçoit d’ailleurs pas) et aux stimulations à caractère érotique ; son esprit est distrait par des pensées multiples et variées se succédant à « toute vitesse »… Ces pensées portent sur toutes les tâches en rapport avec les enfants ou son travail qu’il y a lieu d’assurer, etc… De fait, l’excitation à caractère sexuel a beaucoup de mal à monter et il n’y a dès lors que très peu de plaisir et pas d’orgasme…

Enfin, Chantal n’aime pas son corps, n’aime pas que son corps soit vu, encore moins qu’il soit vu en mouvement (Chantal n’a jamais aimé les activités sportives), ce qui augmente ses difficultés sexuelles (là encore, comme chez une majorité de femmes)…


[1] Car le « stress » fatigue !…

Conclusions :

Certes la personne a pu vivre des traumatismes importants ou des expériences dévalorisantes ou elle a pu sortir de son enfance et de son adolescence avec l’impression d’avoir manqué d’amour, de respect, de considération, etc…

Cependant, quoique ces expériences n’aident pas à évoluer vers la Santé Mentale, elles ne suffisent pas à expliquer les différentes pathologies qui peuvent être présentées sur un plan psychologique… En fait, il se confirme de plus en plus que ce ne sont pas les traumatismes en eux-mêmes qui génèrent la pathologie mais notre façon de réagir aux événements désagréables ou traumatiques…

Donnons un exemple de la vie courante : si une personne vient de subir une séparation conjugale… Cet événement est en général désagréable à la plupart des personnes… Mais il y a plusieurs façons de réagir à un tel événement…

La personne peut ressentir sa tristesse, en pleurer et trouver dans son réseau d’amis l’écoute empathique et réconfortante dont elle a besoin… Cette personne aura moins de chances de développer une maladie mentale par rapport à des personnes qui s’efforceraient de « tout oublier » (ou qui seraient incitées à agir de la sorte par leur entourage), qui ne montreraient rien de leur douleur voire présenteraient d’elles-mêmes une image contraire à cette douleur ressentie (elles se présenteraient par exemple comme quelqu’un qui serait indifférent à l’événement ou même qui serait capable de le tourner en dérision)…

Aujourd’hui, il semble avéré que cette stratégie d’évitement émotionnel est le fondement de la maladie mentale qui pourrait apparaître sous une forme ou une autre dès que les processus enclenchés aboutissent à un niveau d’intensité qui fait traverser la frontière entre ce qui est médicalement considéré comme « sain » et « pathologique »… Mais ce n’est pas tout…

Nous pouvons remarquer que chez chacune des personnes que nous avons données en exemple un manque flagrant d’auto-compassion : Sylvie et Richard s’autocritiquent d’une manière très sévère et d’une façon qu’ils ne se permettraient pas d’utiliser pour les autres ; quant à Chantal, elle déteste son corps…

Nous observons chez chacune de ces personnes un manque de compassion envers elles-mêmes, leurs émotions, leurs symptômes, leur corps, leurs souvenirs, etc…

Pour de plus en plus de psychothérapeutes, c’est le manque de compassion envers soi qui entretient de douloureux sentiments de doute, d’infériorité, de culpabilité, de honte associés à des pensées autocritiques tout aussi douloureuses. Et c’est ce manque d’auto-compassion qui nécessite donc le recours à l’évitement émotionnel…

Qu’est-ce que la compassion ?

Nous considérons comme certains auteurs (dont Goetz, J. et al., 2010) que la compassion est une émotion innée.

Il s’agit néanmoins d’une émotion complexe supposant que nous sommes suffisamment sensibles (et que nous sommes capables de gérer cette sensibilité !) que pour ressentir la souffrance chez autrui[1] et cette sensibilité nous pousse à agir pour soulager cette souffrance[2] (Gilbert&Choden, 2015).

La compassion est présente dans la Nature : même les animaux sont capables d’une certaine compassion pour leurs petits. Et cette compassion envers notre progéniture est indispensable pour la survie de l’espèce !

Le fait que la compassion est à l’évidence une qualité naturelle justifie qu’il puisse être mis en place des moyens psychothérapeutiques de la développer… La compassion est en effet présente chez chacun d’entre nous même si elle n’est pas apparente et même si nous n’en avons pas conscience !


[1] Cette capacité à ressentir ce que l’autre ressent correspond à ce qui est appelé « empathie ».[2] La compassion serait donc une émotion qui nous pousse à l’action, ce qui autrefois était appelé « instinct ».

Comment la pratique de la Méditation en Pleine Conscience prévient-elle la maladie mentale ?

 Les exercices de méditation en Pleine Conscience développent en nous des processus inverses à ceux qui peuvent nous conduire vers la maladie mentale : plutôt que de pratiquer l’évitement émotionnel, la personne choisit délibérément de rester attentif à l’instant présent et à toutes les émotions qui y sont associées agréables comme désagréables et sans jugement !

« Sans juger » est très important car la pratique de la Méditation en Pleine Conscience est très exigeante et le méditant sera très vite confronté à l’impossibilité d’assurer cette exigence de manière parfaite…   La personne peut alors prendre conscience des sentiments qui peuvent être associés à cette impression d’imperfection… Cette prise de conscience est une étape importante dans la prévention de la maladie mentale…

Par ailleurs, la pratique des « Mouvements et Etirements en Pleine Conscience basés sur le yoga » diminue l’hypertonicité musculaire (stress)[1] et réduit ainsi le risque d’« impulsivité » tout en développant la capacité d’attention au corps en mouvement…

Par ailleurs encore, la pratique de la « méditation assise » apprendra à la personne à devenir observatrice de ses pensées automatiques sans se laisser entraîner par elles… S’il est vraisemblablement impossible d’empêcher notre esprit de produire des pensées, celles-ci peuvent devenir un « bruit de fond sans importance » permettant de mettre à l’avant-plan de notre conscience nos ressentis corporels et émotionnels…

Enfin, les exercices de méditation avec visualisation vont aider à développer l’équanimité et certains sentiments qui sont souvent « déficitaires » : par exemple, la compassion et la bienveillance envers soi-même (Gilbert&Choden, 2015)… Le développement de la compassion envers soi prévient la tendance au doute, aux pensées autocritiques et auto-dévalorisantes très présente dans chez beaucoup de personnes souffrant de maladie mentale…

La meilleure perception de nos sensations et émotions, la diminution de l’hypertonicité musculaire (réduction du stress), la prise de distance avec nos pensées automatiques (que nous nous entrainons à « laisser passer ») et le développement de certaines qualités émotionnelles comme la compassion (envers soi et envers autrui) seraient les quatre conditions prévenant la maladie mentale…  La dernière étant de plus en plus considérée comme la principale.

Spinoza (Damasio, 2003) a enseigné que le mieux pour se soulager d’un sentiment pénible, c’était de développer des sentiments qui lui sont contraires et cela s’est confirmé en neurologie (Damasio, 2003) mais aussi en psychologie (Gilbert&Choden, 2015).

En développant donc l’auto-compassion, nous atténuons nos sentiments douloureux d’infériorité et de culpabilité (Gilbert&Choden, 2015), non pas en les éliminant mais en ramenant un équilibre entre ces sentiments (culpabilité et infériorité)[2] et les sentiments contraires (comme l’autocompassion)…

La tendance au jugement étant atténuée, il nous devient plus facile de rester attentif à l’instant présent « sans juger » et de donc rester dans la « Pleine Conscience » telle qu’elle a été définie par Jon Kabat-Zinn (2004).


[1] A travers les mouvements, les muscles s’étirent puis se détendent… [2] Il peut être utile de se sentir coupable ou en insuffisance : la culpabilité peut nous amener à nous amender de comportements qui font souffrir notre entourage, le sentiment d’infériorité peut nous pousser à nous améliorer sur certains de nos points faibles.

La Méditation en Pleine Conscience comme base de la psychothérapie :

Comme nous l’avons longuement expliqué, les indications psychothérapeutiques de la méditation en Pleine Conscience se multipliant, il a été mis en évidence l’existence de processus mentaux communs à beaucoup (à toutes ?) de maladies mentales.

Ceci voudrait dire que (peut-être toutes ?) les maladies mentales se déclenchent de la même manière, au-delà des symptômes présentés qui peuvent être très différents d’une maladie à l’autre… Derrière ces symptômes ont en effet été mis en évidence des processus mentaux communs, dont le plus fondamental est sans doute l’évitement émotionnel résultant du manque d’auto-compassion (Heeren, Ceschic & Philippot, 2012, Gilbert&Choden, 2015)…

Seul le degré d’avancement de ces processus varierait : ainsi, moins on a des compassion envers soi, plus on se déteste (certaines personnes disent être dégoûtées par elles-mêmes), plus on pratique l’évitement émotionnel, plus on a peur de ses émotions, plus on se stresse (hypertonicité musculaire), plus on est sujet à l’impulsivité, plus on est accablé par des pensées allant en tous sens, plus on est fatigué et sujet à des troubles du sommeil, plus on est tenté de multiplier et d’intensifier les stratégies d’évitement émotionnel (addiction, perfectionnisme, etc…), plus on risque de développer une maladie mentale grave telle que définie par la médecine… Et être qualifié de « malade mental » va le plus souvent encore accentuer la tendance à se déprécier…

Si les processus sont les mêmes quelles que soient les maladies mentales, ce sont les mêmes processus inverses qui permettront de sortir de la maladie mentale et de cheminer progressivement vers l’« état de complet bien-être physique, mental et social » ainsi que se définit la « Santé Mentale » (définition de l’Organisation Mondiale de la Santé telle qu’indiquée sur son site http://www.who.int/fr/)…

Or la pratique de la méditation en Pleine Conscience permet justement d’enclencher et de développer ces processus mentaux qui conduisent à la Santé Mentale à savoir être plus attentif (on parle en psychothérapie de « réentraînement attentionnel »), respectueux et bienveillant envers nos émotions et sensations corporelles et finalement envers soi. Ceci suppose moins se laisser aller à des pensées automatiques, réduire l’hypertonicité musculaire (stress), se libérer d’une recherche anxieuse de la perfection,…

Lorsque l’évitement émotionnel n’est plus pratiqué, la personne peut mieux gérer ses émotions, ce qui suppose mieux les conscientiser, mieux les éprouver et sans jugement, mieux les identifier et les exprimer… Et la personne est en effet invitée à exprimer ses émotions en tenant par exemple un journal et à partager, dans la mesure du possible, sa vie affective avec ses proches de confiance[1]

Le développement de telles capacités devrait considérablement faciliter le travail psychothérapeutique.

Le « perfectionnisme » sera prévenu par l’invitation à faire « du mieux que nous pouvons » et donc par l’invitation à accepter de ne pas être capable à un instant T de faire aussi parfaitement que nous l’aurions souhaité ce qui est demandé…

Enfin et justement pour développer cette capacité à être bien même si l’on est imparfait[2], la méditation en Pleine Conscience aide au développement de certaines qualités émotionnelles comme l’équanimité, la bienveillance, la compassion,… Le développement de ces qualités se révèle en effet être un puissant antidote à la maladie mentale (Gilbert&Choden, 2015) et peut-être l’essence même de la Santé Mentale…

Ainsi la méditation en Pleine Conscience peut être d’une aide précieuse à la psychothérapie… Elle peut même être considérée comme essentielle à la psychothérapie voire comme la base de la psychothérapie… « Base » ne veut pas dire que la Méditation en Pleine Conscience devienne un outil suffisant et exclusif de la psychothérapie, elle en est juste la base (ce qui est déjà beaucoup)…

Nous n’imaginerions pas nous abriter dans une maison dont nous n’aurions construit que les fondations… Nous n’imaginerions pas non plus construire une maison sans fondation, ce qui rendrait très fragile notre maison… Il en est de même de la psychothérapie… dont la Méditation en Pleine Conscience serait les fondations, indispensables mais non suffisantes…


[1] Il est en effet relativement fréquent que des personnes n’expriment que très rarement leurs sentiments même avec leur conjoint en qui pourtant, elles ont totale confiance… [2] Et ceci ne veut absolument pas dire que l’on refuse de progresser ou de s’améliorer, s’aimer soi-même tel que l’on est à un moment donné est peut-être justement ce qui facilite notre progression personnelle.

La Méditation en Pleine Conscience comme base de notre développement personnel et du développement de notre bien-être :

 La pratique de la Méditation en Pleine Conscience contribue à notre développement personnel d’abord parce qu’elle contribue au développement de notre sentiment de bien-être… simplement en nous rapprochant de nos ressentis corporels et émotionnels…

Jon Kabat-Zinn dit en effet :

« La pleine conscience nous aide, par ailleurs, à goûter des sentiments de joie ou de paix qui passent souvent inaperçus. Ce travail nous confère aussi un certain pouvoir, car il donne accès à des ressources de créativité, d’intelligence, de clarté, dont nous ne soupçonnions pas l’existence.

Nous sommes peu conscients du fait que nous pensons tout le temps. Le flux de pensées incessantes qui traverse notre esprit nous laisse peu de temps pour une plage de calme intérieur. Nous avons bien peu de temps pour nous, nous arrêter un instant cette agitation perpétuelle. Nos actes quotidiens sont le plus souvent propulsés par des pensées et des pulsions ordinaires qui envahissent notre cerveau comme un torrent submergeant nos vies. Cela nous entraîne parfois en des lieux que nous ne souhaitions pas visiter. » (Kabat-Zinn, 2004, pp. 25 et 26).

Segal et al. (2006) résument par ailleurs en quelques mots l’apport de ce type de méditation :

« [Ce livre][1] concerne en définitive le potentiel de transformation personnelle qui existe (exprimé traditionnellement comme un changement tant du cœur[2] que de l’esprit) à la fois chez les auteurs dans leur rôle de chercheurs et thérapeutes/instructeurs, et chez leurs patients. Une telle transformation est le travail de la pleine conscience elle-même, fruit d’une attention très spécifique accordée à tout le paysage, intérieur et extérieur, de sa propre expérience, y compris des émotions intenses. On pourrait appeler ceci le chemin vers l’incarnation de l’intelligence émotionnelle. » (Segal et al., 2006, pp. 13 et 14).

L’« intelligence émotionnelle » est une forme d’intelligence qui se fonde sur l’émotion (l’intuition). Développer notre intuition favorise notre créativité : c’est en effet par un processus émotionnel que peut émerger de l’intérieur de nous spontanément la solution à un problème nouveau ou une idée originale (sous une forme verbale ou non-verbale : une image, par exemple)

Elle joue un rôle capital dans les prises de décision où le raisonnement seul ne peut agir ou suffire : il s’agit de toutes les décisions dont les conséquences à long terme sont imprévisibles de manière logique (par exemple, le choix de l’attitude éducative à adopter envers nos enfants dans une situation donnée ou, dans le domaine professionnel, les décisions d’orientation à long terme dont les effets sont imprédictibles de manière raisonnable).

L’« intelligence émotionnelle » joue aussi un rôle fondamental dans les relations humaines : nous n’avons guère la possibilité en contexte relationnelle improvisé de décider consciemment de nos attitudes, expressions émotionnelles, gestes, etc… Dans ce domaine, c’est notre dimension émotionnelle qui joue le premier rôle décisionnaire.

Elle joue également un rôle dans ce que l’on appelle l’empathie (liée à la compassion), c’est-à-dire la capacité à percevoir dans l’immédiateté le vécu émotionnel de notre interlocuteur, à le comprendre et en conséquence, à pouvoir y réagir de manière adéquate (Rogers, 1996 ; Gilbert&Choden, 2015).

C’est ainsi qu’il apparaît de plus en plus important de développer[3] la compassion (envers soi et les autres) et l’intuition à la fois pour prévenir la maladie mentale mais aussi dans le but de promouvoir son propre développement personnel.

Développer son « intelligence émotionnelle » est une condition-clé du développement de notre propre « sagesse ».

La « sagesse » peut désormais être considérée comme un concept psychologique à part entière qui se définit de la manière suivante :

« La sagesse est ainsi « une intelligence parvenue à maturité, un savoir qui s’est accumulé, un jugement mûri, une large compréhension » » (Erik Erikson, cité par Vanderplas-Holpe, 1998, p. 96).

En résumé, la pratique méditative permet de développer sa capacité d’intuition et de décision. Elle contribue à augmenter la confiance en soi, le plaisir à vivre « simplement[4] »[5],…

Elle développe aussi nos capacités relationnelles : notamment notre aisance à être en relation, notre empathie, notre sentiment de compassion et notre « agréabilité » (Hargot, 2004 ; Gilbert&Choden, 2015)…

De même que la pratique de la méditation en Pleine Conscience peut être considérée comme la base de la psychothérapie parce qu’elle enraye les processus mentaux conduisant à la maladie mentale ; de même, elle peut déjà être considérée comme le fondement même de la santé mentale, prise au sens de l’OMS à savoir :

« La santé mentale englobe la promotion du bien-être, la prévention des troubles mentaux, le traitement et la réadaptation des personnes atteintes de ces troubles »[6]


[1] Il s’agit du livre suivant : Segal , Z. V. et al. (2006). La thérapie basée sur la pleine conscience pour la dépression. Bruxelles : de Boeck. [2] Pris ici dans le sens de « siège des émotions ». [3] Peut-être est-ce un peu radical mais nous pourrions dire que le développement personnel est une condition de prévention de la psychopathologie. [4] « Vivre « simplement » » suppose entre autres « ne faire qu’une seule chose à la fois »… [5] La pratique de la « Pleine Conscience » joue en effet un rôle préventif désormais scientifiquement reconnu (Bizzini et al., 2010 ; Bowen, 2013). [6] Voir le site de l’OMS à l’adresse suivante : http://www.who.int/fr/.

Développement de la Compassion et de l’Intuition :

Nous n’imaginons pas combien nous manquons de compassion envers nous-mêmes, combien nous avons tendance en conséquence à « être dur » envers nous-mêmes et à pratiquer l’évitement émotionnel.

Il est parfois indispensable d’être « accompagné » dans la prise de conscience de ce fait et d’être accompagné dans la traversée de ce qui pourtant n’est qu’une partie de nous-mêmes à savoir… nos émotions que nous redoutons parfois plus que nous ne l’imaginons…

Le manque d’auto-compassion est si répandu que les pratiques de développement de cette qualité s’adressent à nous tous, au moins dans un but préventif global en santé mentale…

Comme nos émotions sont de plus en plus considérées comme la source première de nos pensées et actions, le développement de la compassion et de l’intuition va principalement faire appel à notre composante émotionnelle et à une composante de notre personnalité qui y est étroitement liée, à savoir notre imagination (qui est très sollicitée dans les méditations avec visualisation)…

La compassion est devenue un thème important associé à la Pleine Conscience.

C’est ainsi que dans beaucoup de pays se sont multipliés les programmes d’entraînement à la Compassion et de plus en plus de recherches y sont associées.

Nous citerons à titre d’exemple :

  1. le « Mindfulness-Based Compassionate Living » (MBCL, que l’on pourrait traduire par « Mener une vie compassionnante basée sur la Pleine Conscience » :
  2. le « Mindful Self Compassion » (MSC, que l’on pourrait traduire par « Compassion envers Soi basée sur la Pleine Conscience ») ;
  3. le « Mindfulness-Based Living Course » (MBLC, que l’on pourrait traduire par « Entraînement à mener une vie dans la Pleine Conscience ») qui a donné lieu en France au programme MBCI (« Mindfulness Basée sur la Compassion et l’Insight »).

Ces programmes reprennent les mêmes exercices que proposait Jon Kabat-Zinn dans son programme « MBSR » (dont nous avons parlé plus haut) mais y ajoutent un ensemble d’exercices visant de manière spécifique le développement de la compassion.

La MSC a été mise au point par Kristin Neff, qui est un des premiers chercheurs sur l’auto-compassion, et le psychologue Christopher Germer, qui est devenu un expert dans le champ de la méditation et de la psychothérapie.

Parallèlement, le programme MBCL a été conceptualisé par la coopération de deux néerlandais formés à la MBSR et à la MBCT : le psychiatre Erik van den Brink et le psychothérapeute Frits Koster qui enseigne la méditation. Dans leur programme, ils ont intégré des éléments de la MSC et de la « Thérapie fondée sur la Compassion » du Professeur Paul Gilbert.

En lien avec la « Thérapie Fondée sur la Compassion », s’est développé le programme MBLC qui a inspiré en France le programme MBCI qui fait actuellement l’objet de travaux menés par le Professeur Pascal Delamillieure de l’Université de Caen.

Ces programmes sont basés sur un point-de-vue transdiagnostique de la psychopathologie (ils s’adressent donc à la plupart des pathologies)

Ces programmes sont utilisés à des fins de prévention primaire et secondaire en santé aussi bien dans le domaine de l’éducation, de la psychothérapie, des ressources humaines, etc…

Ils incluent des exercices qui sont validés scientifiquement et qui incorporent de nouvelles découvertes dans le domaine des neurosciences et de la psychologie. Ils allient aussi bien des  exercices issus de la psychologie moderne que des pratiques contemplatives ancestrales.

Ces programmes (sauf le MSC qui peut s’apprendre isolément) se veulent une suite des programmes déjà formalisés antérieurement : MBSR (réduction du stress), MBCT (prévention de la rechute dépressive), MBRP (prévention de la rechute addictive) ou équivalent…

Finalité de la pratique de la « Pleine Conscience » :

Un chant du monastère de Thich Nath Han dit :

Mon corps et mon esprit en parfaite Pleine Conscience

Je redécouvre ma Nature Originelle

Et abandonne la rive de la confusion

Noble Sangha

Unifions tout notre être dans la Pleine Conscience.

 Jon Kabat-Zinn précise : « La pleine conscience (…) a tout à voir avec l’éveil de notre conscience et le désir de vivre en harmonie avec soi-même et le monde qui nous entoure. Il s’agit (…) d’être en contact avec notre être dans sa plénitude[1]. » (Kabat-Zinn, 2004, p. 21, c’est nous qui soulignons).

La pratique de la « Pleine Conscience » vise l’Unité de l’Esprit (la pensée), du Cœur (au sens de siège des émotions) et du Corps, cette Unité représentant la « plénitude », dans le sens de « Totalité », de notre Être…

Progresser vers cette Unité (ou Harmonie) est ce que nous pourrions appeler la « Réalisation de Soi », le concept de « Soi »[2] renvoyant à cette Unité…

Cette progression commence par le développement d’une conscience élargie jusqu’à être pleine de tout ce qui se passe en nous et autour de nous. Jon Kabat-Zinn (2010) conseille comme point de départ qui lui paraît le plus accessible le ressenti des sensations corporelles.

Cette Progression suppose entre autres de développer un respect pour son corps et une attention soutenue à ses sentiments (qui, habituellement, sont évités)…

Nous considérons le « Soi » comme « archétypal[3] » (Gilbert&Choden, 2015), en ce sens, qu’au sein même de notre Nature Humaine et de manière innée, « quelque part au plus profond de nous, réside un noyau sain et incorruptible » (Kabat-Zinn, 2004, pp. 74 et 75) qui nous pousserait vers cette réalisation de « Soi ». Si cette idée se vérifie, elle sera d’un grand espoir en ce qui concerne la psychopathologie car cela suppose que même les personnes souffrant des formes les plus graves de maladie mentale ont en elles un potentiel de guérison.

« Archétypal » caractérise ce qui était dès le commencement de notre existence, il s’agirait dès lors de retrouver notre « Nature Originelle », pour reprendre l’expression utilisée au monastère de Thich Nath Han.

Cette « Nature Originelle » renferme certes des tendances à la destruction mais aussi des tendances constructives comme la compassion qui serait une capacité innée présente dans la Nature (d’autres êtres vivant dans le règne animal manifestent en effet cette qualité).

La pratique de la Pleine Conscience crée les conditions qui permettent la progression vers cet Idéal, d’où il résultera Créativité et Sagesse…

Cette progression suppose entre autres de développer un respect pour son corps et une attention soutenue à ses sentiments…

Cette progression ne sera guère possible sans le développement d’une compassion envers soi, c’est-à-dire envers ses « défauts » (ou symptômes), son histoire de vie, ses sentiments, son corps, etc…


[1] « Plénitude » renvoie à une notion d’« intégralité », de « totalité », (Larousse, 2007). [2] Le « Soi » est au départ un concept bouddhiste (Anonyme, 1997), repris par la philosophie (Nietzsche, 1996, par exemple) puis par la psychanalyse (Balint, 1977 ; Segal, 1969 ; Jung, 1987 ; etc…), la pédagogie (Olivereau, 1998), la neurologie (Eccles, cité par Olivereau, 1998) et finalement par la psychologie cognitive (Gilbert&Choden, 2015). [3] « Archétypal » caractérise ce qui était dès le commencement de notre existence, il s’agirait dès lors de retrouver notre « Nature Originelle », pour reprendre l’expression utilisée au monastère de Thich Nath Han.

Bibliographie :

Anonyme (1997, selon la tradition environ Ve siècle ACN). Le Bouddha Dhammapada Les stances de la loi. Flammarion : Paris.

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Billieux, J. (2012). Impulsivité et psychopathologie : une approche transdiagnostique. RFCCC (Septembre 2012), Vol. XVII, n°3, pp. 42-65.

Bizzini, L. et al. (2010). Mindfulness et dépression. Santé Mentale, 147, pp. 69-72. Ont collaboré à la rédaction de cet article les Drs Jean-Michel AUBRY et Guido BONDOLFI, psychiatres.

Bobon, D.P. et al. (1981). Le Système AMDP. Bruxelles : MARDAGA.

Bowen, S. et al. (2013). Addictions : prévention de la rechute basée sur la pleine conscience (Titre original : Mindfulness-Based Relapse Prevention for Addictive Behaviors: A Clinician’s Guide). Bruxelles : Ed. De Boeck.

Damasio, A. (1995). L’erreur de Descartes. (Titre Original: Descartes’ Error, 1994). Paris: Odile JACOB.

Damasio,  A. (1999). Le sentiment même de soi. (Titre Original: The Feeling of What Happens, 1999). Paris: Odile JACOB.

Gardner, H. (1997). Les formes de l’intelligence. (Titre original: Frames of mind, 1983). Paris: Odile Jacob.

Gilbert, P. et Choden (2015). Pleine Conscience et Compassion Approches théoriques et applications thérapeutiques (Titre original : Mindful Compassion). Issy-les-Moulineaux : Elsevier Masson.

Goetz, J. et al. (2010). Compassion: An Evolutionary Analysis and Empirical Review/ Psychological Bulletin, Vol. 136, No. 3, 351–374.

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Jung, C. G. (1987). L’homme à la découverte de son âme (Titre Orginal : ). Paris : Albin Michel.

Kabat-Zinn, J. (2004). Où tu vas, tu es (Titre Original : Wherever you go, there you are, 1994). Paris : J’ai lu.

Kabat-Zinn, J. (2010). Méditer 108 leçons de pleine conscience (Titre Original : Coming to our Senses Healing ourselves and the World through Mindfulness, 2005). Paris : Editions des Arènes.

Nietzsche, F. (1996). Ainsi parlait Zarathoustra. (Titre Original : Also sprach Zarathustra, 1885). Paris, Au Sans Pareil, Editeurs.

Olivereau, J. M. (1998). Les paradoxes de la CF. Ta main pour parler, n° 9, juin 1998, pp. 8-12.

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